Petites lignes : les Hautes-Alpes coupées du reste de la France en 2021

Même si la ligne Grenoble-Gap est sauvée de la fermeture définitive, ses défenseurs restent mobilisés. Aucun train ne desservira les Hautes-Alpes durant l’été 2021. Les trois lignes reliant le département au reste de la France seront en travaux. L’enclavement menace l’économie haut-alpine qui repose essentiellement sur le tourisme.

Aucun train ne circulera dans les Hautes-Alpes durant l’été 2021. Crédit photo : Robert Cuchet, président de l’AGV.

Aucun train ne circulera jusqu’aux Hautes-Alpes durant l’été 2021. Les trois lignes desservant le département, Grenoble-Gap, Valence-Gap et Marseille-Gap, seront en travaux, en pleine saison touristique.

Après plusieurs années de combat du collectif de l’Étoile ferroviaire de Veynes (Hautes-Alpes), la « ligne des Alpes », reliant Grenoble (Isère) à Gap (Hautes-Alpes), a été sauvée de la fermeture définitive. L’État a décidé, après les collectivités locales, de financer les travaux de première urgence en décembre 2019 lors du dernier comité de pilotage à la préfecture de Valence (Drôme). « À chaque fois qu’il y avait un comité de pilotage, il y avait entre 400 et 500 personnes dehors et les élus politiques suivaient la vox populi. Ça a mis la pression », souligne Franck Gatounes, ancien conducteur de train et membre du collectif de l’Étoile ferroviaire de Veynes.

Le coût global des travaux s’élève à 28,3 millions d’euros. « Maintenant, on doit être vigilants et mobilisés pour que les travaux soient maintenus. Il faut que cet argent-là soit réservé. En cette période de confinement, l’État peut destiner ce budget à construire une usine de masques par exemple », analyse Robert Cuchet, président de l’Association pour la promotion de la ligne SNCF Grenoble Veynes Gap (AGV) et membre du collectif.

La première phase de travaux se déroulera sur 18 mois. « En décembre 2020, la ligne sera fermée totalement parce que les travaux n’ont pas été anticipés et donc la phase préliminaire n’a pas été faite. Les travaux devraient commencer après, en 2021, et se finiront fin 2022. L’essentiel se concentre majoritairement sur 48 kilomètres, entre Clelles en Isère et Aspres-sur-Buëch dans les Hautes-Alpes », précise Franck Gatounes. La ligne a été délaissée au profit du TGV, comme l’explique cette vidéo de l’INA.

Des ralentissements ont été obligatoires dès 2016. Le temps de trajet s’est allongé. « En 1968, avec une machine à vapeur, on reliait Grenoble à Veynes en 1 heure 51 et il y avait 11 arrêts intermédiaires. En 2019, avec un autorail thermique, car la ligne n’est pas encore électrifiée, on met 2 heures 22 et il y a 8 arrêts intermédiaires », présente l’ancien conducteur de train.

Crédit photo : Robert Cuchet, président de l’AGV.

Si l’image interactive ne s’affiche pas correctement, cliquez ici. (Crédit photo : Robert Cuchet, président de l’AGV).

Toutefois, même si un chantier est prévu sur la ligne Grenoble-Gap, la bataille continue pour relier les Hautes-Alpes au reste du territoire. D’autres travaux risquent d’accentuer l’enclavement du département. Programmé depuis deux ans, un chantier entre Valence et Veynes aura lieu pendant neuf mois de la mi-mars à la mi-décembre 2021 sur la ligne Valence-Gap.

Cela pose problème pour le train de nuit Paris-Briançon, qui passe par Valence, Veynes et Gap. « [Il y a une dizaine d’années, NDLR], le train de nuit est déjà passé sur la ligne de Grenoble-Gap. Le collectif a proposé de dévier le train de nuit par Grenoble pendant les travaux sur la portion Valence-Veynes. La ligne Grenoble-Gap ne fermait pas et on avait le train de nuit qui circulait. Sans train de nuit, on est loin de tout », observe Nicole Tagand, usagère et membre du collectif de l’Étoile ferroviaire de Veynes.

Mais l’État a décidé de détourner le train de nuit par la gare de Modane en Savoie avec un transbordement en car jusqu’à Briançon. « Les technocrates de la SNCF à Paris n’ont pas vu qu’entre les deux, il y avait un col. Pour monter et descendre ce col, il y a beaucoup de virages. Ça fait beaucoup plus de kilomètres. Ce sont surtout des familles qui voyagent par le train de nuit. Je n’imagine pas un couple avec deux enfants, changer du train au car, avec les valises, les skis, etc. », continue-t-elle. « Les voyageurs ne peuvent pas mettre leur vélo. Les bagages sont limités comme les places », renchérit le président de l’AGV.

D’après Fabrice Eymon, président de la Fédération nationale d’usagers des transports Pays de la Loire et cité par Ouest-France, « du train au car, il y aurait une perte de 30 % des voyageurs ». « On nous parle d’environnement, d’écologie. Et sur des territoires comme le nôtre, on fait tout pour nous supprimer les lignes de train. C’est paradoxal. Le bon sens veut des transports en commun à court, moyen et long parcours. Là, tout nous incite à prendre une voiture », souligne Rémi Roux, conseiller municipal à L’Argentière-la-Bessée (Hautes-Alpes) et membre du collectif.

Il est aussi prévu « un arrêt de circulation pour travaux » sur la ligne Marseille-Gap, pendant l’été 2021, entre Marseille et Aix-en-Provence. Aucun train de jour et de nuit ne relierait à cette période les Hautes-Alpes. « Des bus de substitution seront mis en place. Je trouve ça fou alors qu’on a des infrastructures ferroviaires. Il aurait été intelligent d’aménager les phases de travaux pour avoir un turn-over de façon à avoir des solutions ferroviaires », ajoute Franck Gatounes.

Selon SNCF Réseau, « les travaux ont été logiquement programmés après les suspensions de ligne » afin de programmer les travaux sur la ligne Grenoble-Gap qui n’étaient pas prévus initialement. « Toutes ces dates [de travaux, NDLR] doivent évidemment être réexaminées à l’aune des conditions de reprise et de réalisation des chantiers suite à l’épidémie de Covid-19 : elles sont donc susceptibles d’évoluer dans les prochaines semaines ».

Crédit : Wikipédia/P.poschadel/cc-by-sa-2.0

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Menaces sur l’économie du territoire

Le département, dont l’économie repose surtout sur le tourisme, risque de dépérir. D’après Reporterre qui reprend les chiffres de l’INSEE, « avec 20 millions de nuitées par an, le département (140 000 habitants) a la plus forte capacité d’accueil du pays : 239 lits hôteliers et de gîtes pour 100 habitants, pour une moyenne de la région Paca à 57 et de la France métropolitaine à 30 ».

Les commerces et les stations de ski des villages habituellement desservis par les trains sont menacés. « Une détérioration d’un outil de transport amènerait à un affaiblissement du territoire. C’est la théorie des dominos. Je me dis que si ça ferme, quid des stations de ski, du tourisme qui représente une grosse partie du chiffre d’affaires des commerçants, des étudiants et des actifs qui regagnent Grenoble, des lycéens qui ne pourront plus rejoindre leur internat ? », interroge Rémi Roux. Il poursuit : « L’arrivée du train dans les villages ça a été comme l’arrivée de l’électricité ou de l’eau chaude. C’est le progrès qui arrive. Si vous enlevez la gare et la ligne de train aux Haut-Alpins, c’est comme si vous leur enleviez l’électricité. Vous les faites reculer de 150 ans ».

Deux trains se croisent dans la gare de Clelles-Mens en Isère. La ligne Grenoble-Gap est à voie unique. Les croisements de train ont lieu dans les gares. Crédit photo : Robert Cuchet, président de l’AGV.

Au-delà de l’économie, l’accès à la mobilité est une source d’inégalités territoriale et sociale. « Quand on sait qu’aujourd’hui il y a 50 % des Parisiens qui n’ont plus de voiture parce qu’ils ont tout à porter de transports en commun. C’est une injustice de devoir acheter une voiture ou deux dans un foyer parce qu’on ne peut pas faire autrement pour aller travailler. Et c’est aussi une injustice pour les jeunes des Hautes-Alpes qui n’ont pas forcément les moyens de s’en payer une », ajoute Nicole Tagand.

Les liaisons de Gap vers Grenoble, Aix-en-Provence, Marseille et Valence sont vitales pour ces territoires ruraux et montagneux afin de se rendre à l’hôpital, aux universités ou vers les bassins d’emploi. « Il y a aussi la disparition des services qu’on pouvait avoir dans les petites villes. Ça a fermé petit à petit. Il n’y a pas que le train, c’est un abandon plus global. Le fait d’avoir des transports en commun performants permet d’atteindre les services qu’on nous a supprimés », complète-t-elle.

Avec les travaux sur la ligne Grenoble-Gap, une étude est lancée sur les services à mettre en place au niveau des gares. Le but est d’impulser à nouveau de la vie autour. « Avant, à côté des gares, il y avaient des hôtels. Maintenant, il n’y en a plus. Le tourisme du XXIème siècle ne doit pas ressembler à celui du XIXème ou du XXème. Il faut inventer d’autres services », développe Robert Cuchet.

La solution est peut-être à chercher du côté des habitants. À chaque fois que la desserte de territoire a reçu du nouveau matériel et des investissements, la fréquentation a augmenté. Selon le président de l’AGV, pour sauver les lignes de train, « tout le monde doit reprendre le chemin de la gare. Sinon c’est très difficile de poursuivre la rénovation ». Et les inégalités territoriales risquent de s’accroître et par conséquent, les territoires ruraux et montagneux d’être un peu plus isolés.


Le RER à la grenobloise, « c’est de considérer le ferroviaire comme étant l’armature principale de notre réseau de transport public »

Yann Mongaburu, président du Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG) qui a remplacé le SMTC depuis le 1er janvier 2020.

Yann Mongaburu, vous êtes président du Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG). Vous avez participé aux différentes réunions regroupant l’État, SNCF Réseau, la région Auvergne Rhône-Alpes, la région Paca, le département de l’Isère, la Métropole Grenoble-Alpes et d’autres collectivités locales, au sujet de l’avenir de la ligne Grenoble-Gap. Les financements ont été trouvés pour des travaux urgents. La « ligne des Alpes » est sauvée de la fermeture définitive. Cette ligne constituera le support du futur RER métropolitain. Comment est né ce projet ?

« De 2016 à 2018, le Syndicat mixte des transports en commun (SMTC) et les collectivités partenaires que sont l’État, la Région, le département de l’Isère, les intercommunalités et les communes ont travaillé sur le Plan de déplacement urbain (PDU) pour penser les déplacements à l’échelle du bassin. Pendant son élaboration, on est parti d’un constat simple. L’essentiel de nos gaz à effet de serre des transports est du au flux d’échange entre les territoires. Il manque un service de mobilité attractif et efficient pour que les usagers puissent se passer de la voiture individuelle.

Et la meilleure offre de transport public, la plus efficace, la moins cher, la plus rapide, c’est le train. À condition qu’on retravaille très sérieusement nos systèmes d’exploitation ferroviaire. On s’est inspiré de ce qui se fait en Allemagne, en Suisse, en Italie ou en Espagne. Dans ces pays, les habitants des territoires péri-urbains et ruraux ont la possibilité d’utiliser le train quotidiennement pour se rendre dans une métropole et regagner leur lieu de travail ou d’études. On a la chance d’avoir une infrastructure ferroviaire sur notre territoire autour de laquelle s’est développée l’urbanisation.

C’est pourquoi lors de l’écriture du PDU, on a convergé au-delà des sensibilités politiques, au-delà des collectivités, vers ce projet de transport public. Les habitants dépassent largement la vie de leur commune ou de leur intercommunalité. Le RER à la grenobloise, dont je préfère parler plutôt que RER métropolitain, prend alors tout son sens. Il vise à avoir une offre de transport public de Rives à Brignoud, de Saint-Marcellin à Gières et de Grenoble à Clelles. »

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Quand entrera-t-il en service ?

« C’est un travail de longue haleine. On a lancé des travaux d’identification du besoin en 2016. Nous avons délibéré en février sur les premiers travaux qui vont s’échelonner entre 2020 et 2025. Plus de 10 ans de travaux seront nécessaires pour que le service de RER puisse se mettre en place. La première ligne pourrait entrer en service en 2025. C’est la ligne entre Grenoble et Brignoud, avec un train tous les quarts d’heure. Avec une montée en charge progressive sur les autres lignes d’ici à 2030, au plus tard en 2035. »

Pourquoi ce projet ? Est-ce un coup d’accélérateur à la transition écologique ?

« Oui évidemment, c’est surtout garantir une justice sociale et territoriale, permettre à ce que tous les territoires puissent gagner en liberté de déplacement. Pour réussir la transition énergétique et pour que tout le monde y gagne, il faut que l’on puisse offrir de nouveaux services de mobilités à l’échelle d’un grand territoire qui dépasse les centres urbains et qui desservent l’ensemble d’un bassin de mobilité. C’est tout l’enjeu du ferroviaire. C’est une façon de permettre à la population de moins polluer mais aussi de gagner en plaisir et en pouvoir d’achat parce que ça coûte moins cher. Pour nous, on change de philosophie dans le PDU et l’objectif du RER à la grenobloise, c’est de considérer le ferroviaire comme étant l’armature principale de notre réseau de transport public. Nous pensons qu’il a vocation à être intégré dans le plan tarifaire avec les autres offres de transports urbains.

En 2015, on a élargi la nouvelle mesure tarifaire à toutes les gares du SMTC. On a constaté un doublement de la fréquentation ferroviaire l’année suivante. Donc quand on organise le service et l’offre tarifaire pour qu’il n’y ait plus de concurrence entre les différents services de mobilité, on simplifie la vie de l’usager et on lui permet de se passer de sa voiture. Quand le service est bien pensé et les infrastructures entretenues, le train est un mode de déplacement qui permet de gagner en liberté, en ponctualité et en pouvoir d’achat. C’est un enjeu environnemental, économique et social. »

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2 commentaires

  1. Bonjour
    Membre de l’AGV, j’étais utilisateur dès mon adolescence de la ligne Grenoble-Clelles, ainsi que de la partie sud de la ligne par Aix-en-Provence, quand j’étais localisé dans la région d’Istres et de Salon de Provence, pour rejoindre la maison familiale dans le Trièves. Actuellement je suis en fin de mandat de Maire du village de Prébois dans le Trièves et je reste très partisan du maintien de la ligne.
    Il est vrai que mes problèmes de santé depuis trois ans ont fait que j’ai du réduire mon engagement aussi bien de Maire que de membre d’AGV.
    Par contre, je voudrais revenir sur le problème de la desserte des gares sur les trajet des lignes de l’Etoile dans nos régions de montagne moyennes ou hautes.
    Il ne faut pas laisser venir la désertification de nos montagnes.
    En effet, se pose le problème de la desserte des gares (et des centres administratifs, commerçants ou bancaires) par une population peu mobile (surtout peu autonome), ne connaissant pas toujours Internet ou le portable et qui va avoir du fait de la fusion des ces centres de plus en plus vers les grands centres urbains.
    Il se pose aussi le desserte depuis les gares des lieux touristiques, des lieux de séjours, etc.
    Enfin, il faut penser aux gens qui descendent travailler à la grande ville.
    Il y a parfois plusieurs dizaines de kilomètres entre nos gares et ces lieux, et les dessertes par autobus sont loin d’être adaptées, sont plus longues en temps que le train.

    L’idée est de ne pas laisser faire la concentration des populations autour des gares et de ne pas désertifier les petites villes et les villages de nos montagnes et de pousser à la création de dessertes de ces gares par des minibus de cinq à dix places (pourquoi pas électriques?), depuis les anciens chef-lieux de canton ou les lieux de séjours quels qu’ils soient, ou même certains villages, en les programmant aussi bien à la demande que en concordance avec les dessertes ferroviaires.
    Je pense que cela pourrait se faire par concertation entre les Mairies, les COMCOM’s, les départements et les régions concernés et les organisateurs du chemin de fer (et d’autres qui se sentent concernés?).
    Par ailleurs, ce serait bien que nos associations, Etoile de Vyenes, AGV, etc. aient une meilleure reconnaissance auprès de nos autorités locales de touts types.
    Merci d’avoir pris le temps de me lire
    Jean-François HELLY

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